SOS Enfance en détresse (La déscolarisation des réfugiés syriens au Liban)

Analyse d’opinion de Nour Lana Sophia Karam, rédactrice

Novembre 23, 2020

Abdel Rahman Shaikho, jeune réfugié syrien, lisant un roman de Gebran Khalil Gebran durant une journée de travail dans un magasin de détergents à Ouzaï (Novembre 2020)Source : Al Jadeed/Samir Asmar

Abdel Rahman Shaikho, jeune réfugié syrien, lisant un roman de Gebran Khalil Gebran durant une journée de travail dans un magasin de détergents à Ouzaï (Novembre 2020)

Source : Al Jadeed/Samir Asmar


Il y a quelques semaines circulait sur les réseaux sociaux la photographie d’un jeune garçon tenant entre ses petites mains un livre de poche qu’il scrutait d’un regard attentif et plein d’admiration. 

À première vue, ceci pourrait sembler parfaitement anodin voire même complètement trivial.

Pourtant, cette photographie est l’emblème d’une enfance dont les rêves ont été dérobés et remplacés par une vie pleine de sacrifices et de douloureux compromis.


Y figure Abdel Rahman Shaikho, jeune syrien arrivé au Liban avec sa famille il y a un peu moins de deux ans. Fuyant le lourd quotidien de son pays d’origine déchiré depuis bientôt 10 ans par une violente guerre civile, Abdel Rahman pensait que le Liban serait pour lui un refuge, loin des bombes et des machines de guerre. Aujourd’hui âgé de 13 ans, il est déscolarisé depuis ses 11 ans en raison de la difficile situation financière de ses parents qui arrivent à peine à joindre les deux bouts. 

Pour les soutenir, il travaille dans un magasin à Ouzaï -banlieue Beyrouthine- où il vend des fûts de détergents et de shampoings. 

Rêveur, plein d’espoir et d’une maturité sans pareille, c’est entre les tonneaux de produits de nettoyage que l’adolescent installera une modeste bibliothèque composée de quelques livres de célèbres auteurs du monde arabe dont Gebran Khalil Gebran qu’il affectionne tout particulièrement. C’est son œuvre, Les Ailes Brisées, que Abdel Rahman lit dans le cliché relayé par les internautes. 

S’il n’a pas la chance de fréquenter un établissement scolaire, ce n’est pas pour autant qu’il laisse tomber la lecture, devenue pour lui une échappatoire le téléportant loin des injustices de ce monde. 

Du haut de ses treize ans, il affirme lors d’une courte entrevue télévisée avec Al Jadeed (chaîne de télévision libanaise d’information) que la lecture est, pour lui, le seul moyen de ne pas « oublier [ses] années passées à l’école quand [il] était encore en Syrie ». Prenant conscience de la situation de la majorité de ses semblables devant lesquels se ferment également les portes de l’éducation, il les exhorte cependant à ne pas aller à vau-l’eau, et à « lire pour se cultiver et s’instruire ». 


L’histoire de ce jeune garçon est celle de milliers d’enfants de réfugiés syriens au Liban, victimes de leur identité et de la situation désastreuse de leur mère patrie.



Être réfugié, une malédiction ? (Chiffres-clés)

En 2020, le Liban se place en deuxième position mondiale des pays accueillant le plus de réfugiés proportionnellement à la population locale. Selon le rapport du Haut Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés (UNHCR-HCR), intitulé « Forced Displacement in 2019 », il y aurait officiellement un réfugié syrien pour sept habitants libanais, le nombre total de ces réfugiés - enregistrés - s’élevant à 910 600. 

Selon de nouveaux chiffres en baisse, actualisés par le HCR en date du 4 novembre 2020, ils seraient désormais environ 880 000 à être recensés au pays des Cèdres.

La réalité semble pourtant être tout autre, le chiffre effectif de réfugiés syriens s’élevant à 1,5 millions ; ceci expliquant en partie la récente adoption par le Liban du controversé plan pour le retour des réfugiés syriens dans leur pays.

Parmi ceux-ci, nous comptons près de 620 000 enfants - enregistrés ou non auprès du HCR - en âge d’aller à l’école (3-18 ans). 

Étant donné que le Liban n’a pas ratifié la Convention des Nations Unies relative au statut des réfugiés, il  n’est pas considéré comme un pays d’asile et par conséquent, ne prévoit pas de possibilité d’intégration locale pour les réfugiés. Sans l’ombre d’un doute, ce sont les enfants qui en souffrent le plus. 


La déscolarisation, fatalité touchant les réfugiés syriens au Liban ? 

Pris en tenailles entre ses prises de position contre la Syrie (le souvenir de l’occupation syrienne au Liban ravivant souvent le mépris envers cette population) et le fait de venir en aide à un groupement qui s’enlise de plus en plus dans la misère, le Liban, par le truchement de son ministère de l’Éducation Nationale, tente tout de même depuis 2013 de mettre en place des mesures permettant de faire accéder les petits syriens à l’école. 

C’est ainsi qu’avait été institué au sein des établissements scolaires publics un système de scolarisation intermittent basé sur deux horaires : l’un organisé le matin et accueillant des enfants libanais et une minorité d’enfants d’autres nationalités installés au Liban avant 2011, date du début de la guerre en Syrie, l’autre organisé à partir de 14h30 et accueillant exclusivement des écoliers syriens. 

Si ce système semblait fonctionner, il n’en demeure pas moins que l’effet dévastateur du coronavirus y a mis un frein. Le secteur éducatif public libanais, faute d’infrastructures et de moyens suffisants, n’a pas été globalement à même de dispenser des cours à distance à ses élèves. Même s’il en avait été capable, la plupart des familles de réfugiés n’auraient probablement pas été disposées à se fournir le matériel électronique nécessaire. 



En dépit du système de scolarisation intermittent mis en place par l’État libanais, plus de la moitié des enfants réfugiés de nationalité syrienne n’ont pourtant pas accès à une éducation en bonne et due forme fin 2019.

Principalement, c’est en raison de la pauvreté qui frappe de plein fouet ces familles déplacées que leurs enfants n’ont pas la chance d’accéder à l’éducation. Si l’école publique est gratuite, c’est le transport pour s’y rendre qui est problématique. Quitte à devoir s’acquitter de frais, les familles syriennes préfèrent le faire afin de nourrir leurs familles plutôt que pour une éventuelle scolarisation. 

Aussi, l’école étant souvent éloignée des camps où résident les enfants, leurs parents craignent de les entraîner dans un dangereux périple : en raison de la dispersion de postes de contrôle çà et là sur le chemin de l’école, des familles en situation irrégulière (constituant plus de trois-quarts des réfugiés syriens) préfèrent éviter d’exposer leurs enfants à d’éventuelles arrestations. 



Au vu de la fâcheuse situation de déscolarisation observée, certaines organisations non gouvernementales mettent en place un réseau éducatif « informel », consistant en des salles de classes improvisées à l’intérieur des camps de réfugiés. C’est le cas de la fondation Kayany dont le champ d’action se concentre principalement dans la vallée de la Bekaa, région la plus touchée par la crise des réfugiés. L’association dispose aujourd’hui de 9 écoles mobiles préfabriquées, surnommées “ GHATA “, accueillant gratuitement près de 4 000 élèves. Ces derniers reçoivent, en plus d’un enseignement du programme libanais, un soutien psychosocial. Cette initiative est approuvée par le ministère libanais des Affaires sociales.

Certes, ces structures ne ressemblent en rien au lieu de socialisation qu’est l’école (puisque les réfugiés syriens restent entre eux, étant sans contact avec les jeunes libanais) mais permettent - au moins momentanément - de faire oublier aux enfants le goût amer de leur injuste vie de labeur. Effectivement, en raison de l’inaccessibilité de leurs parents à l’emploi, ce sont eux qui prennent la relève en s’exposant à diverses formes de travail : travail agricole, vente de bricoles aux feux rouges, réparation de voitures dans les garages, assistants dans des salons de coiffure etc. Cependant, ne connaissant pas leurs droits et n’étant évidemment pas protégés par la législation nationale, ils sont souvent exposés à de mauvais traitements. 

Trop empêtré par ses querelles géopolitiques avec le voisin syrien, l’État libanais ne s’intéresse pas réellement à la situation des réfugiés, qui, si elle était abordée sous un angle plus humanitaire, n’aurait pas donné tellement de fil à retordre. 



Quel rôle joue la Convention Internationale des Droits de l’Enfant au Liban ?

Adoptée en novembre 1989 par l’Assemblée Générale de l’ONU, la Convention Internationale des Droits de l’Enfant (CIDE) est un traité international « voué à être applicable par les États [parties] dans leur droit interne ». Pratiquement, et sachant que le Liban l’a ratifiée dès son adoption en 1989, elle devrait s’y appliquer dans toutes ses dispositions. 

Figure à son article 28 la consécration expresse du droit à l’éducation. Il dispose que les États parties « reconnaissent le droit de l’enfant à l’éducation, et en particulier, en vue d’assurer l’exercice de ce droit progressivement et sur la base de l’égalité des chances […] » et qu’ils « prennent toutes les mesures appropriées pour veiller à ce que la discipline scolaire soit appliquée d’une manière compatible avec la dignité de l’enfant en tant qu’être humain […] ». 

Il ressort clairement de ce texte qu’un réfugié devrait en théorie accéder à la même qualité d’enseignement qu’un ressortissant du pays en question. Néanmoins, et non sans surprise, le Liban ne respecte pas ses engagements en la matière. Bafouant le droit fondamental à l’éducation,  il fait de la discrimination son maître-mot. 

Pourtant, l’article 2 de cette même convention dispose que « Les États parties prennent toutes les mesures appropriées pour que l’enfant soit effectivement protégé contre toutes formes de discrimination ou de sanction motivées par la situation juridique, les activités, les opinions déclarées ou les convictions de ses parents, de ses représentants légaux ou des membres de sa famille. »

Encore une fois, le pays des Cèdres se montre incapable de respecter les engagements internationaux auxquels il adhère toutefois de son propre gré.

La différenciation de traitement que subissent les jeunes réfugiés au Liban est désolante. Celle-ci s’apparente clairement à une forme de discrimination dirigée envers leurs origines qu’ils n’ont pourtant pas eux-mêmes choisies. 

Déboussolés, perdus, et jetés dans l’inconnu, ces enfants déracinés ne méritent pas le sort qui s’abat si farouchement sur eux. 



Nous avons tous un jour été enfants. Nous aimions le chahut et détestions la solitude. 

Nous avons tous rêvé de belles choses. Nous voulions changer le monde et luttions d’arrache-pied pour des causes nous tenant à cœur. 

Nous avons tous été cajolés. Nous prenions plaisir à aimer et à être aimés.

Nous avons eu la chance d’être scolarisés. Nous ne nous le réalisions peut-être pas, mais c’est ce qui nous a tous forgés.  



Un enfant n’est pas censé porter sur ses épaules le fardeau de la misère.

La vie d’un enfant n’est pas supposée se transformer en calvaire avant même d’avoir réellement débuté.

Nul ne devrait pouvoir se mettre en travers de l’accès à l’éducation, étape fondamentalement nécessaire pour l’épanouissement de tout individu.

La scolarisation des réfugiés syriens au Liban ne devrait pas revêtir une dimension politique. 

C’est un devoir humanitaire qui incombe à tout État de mettre les enfants sur le droit chemin, nonobstant leurs origines.  



« L’éducation est l’arme la plus puissante qu’on puisse utiliser pour changer le monde. » Nelson Mandela

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