Droits des réfugiés : mythe ou réalité ?

Analyse politique de Léana Clerc, et rédactrice Romy Kehdi, rédactrice

Janvier 10, 2021

La crise de la COVID-19, loin d’être un simple problème temporaire, est une situation permanente à laquelle il faut remédier. Bien que l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS) incite à la diminution des déplacements avec le slogan « Stay Home », ceux qui n’ont pas de « Home » pour ont très clairement été oubliés. La pandémie qui a complètement affecté nos vies touche davantage les réfugiés qui sont beaucoup plus vulnérables. Dans des dortoirs et des camps, la distanciation sociale est impossible : un cas positif peut infecter tout un camp. À Singapour par exemple, 93% des cas de COVID-19 sont repérés dans des dortoirs abritant des travailleurs migrants. Toutefois, la COVID-19 n’affecte pas seulement la vie des réfugiés dans les camps, mais aussi leur migration vers les pays d'accueil qui sont désormais beaucoup moins accueillants. 

En dépit de cela, leur nombre ne cesse d’augmenter. En 2020, l’Agence des Nations Unies pour les réfugiés (HCR) comptait “29,6 millions de réfugiés [...] et 4,2 millions de demandeurs d’asile” à travers le monde. Aujourd’hui, l’on retient notamment les exemples des déplacements de syriens fuyant une guerre civile débutée en 2011 et de rohingyas fuyant la violence au Myanmar, dont le dernier exode a commencé en 2017. Plus récemment, de nombreux érythréens quittent leur pays pour trouver refuge en Éthiopie à cause du conflit au Tigré, alors même que des milliers d'Ethiopiens sont accueillis au Soudan.

Les réfugiés sont des personnes qui fuient les conflits ou la persécution. Leur statut est défini et protégé par le droit international par la Convention de Genève relative au statut des réfugiés adoptée en 1951. Son article premier définit un réfugié comme une “personne […] qui, craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de son pays.” Avant cela, il faut être demandeur d’asile, c’est-à-dire “une personne qui sollicite une protection internationale hors des frontières de son pays, mais qui n’a pas encore été reconnue comme réfugié.” Plus généralement, le terme de migrant désigne, selon l’Organisation Internationale pour la Migration,“toute personne qui quitte son lieu de résidence habituelle pour s’établir à titre temporaire ou permanent et pour diverses raisons, soit dans une autre région à l’intérieur d’un même pays, soit dans un autre pays.”

À l’échelle internationale, la première étape de l’élaboration de droits protégeant les réfugiés est illustrée dans l’article 14 de la Déclaration universelle des droits de l’Homme, adoptée en 1948.  Cependant, ce texte n’ayant pas de valeur contraignante, les droits des réfugiés ne furent effectivement garantis qu’à partir de 1951, par l’adoption d’une Convention de Genève spécifique, complétée par le protocole de 1967. Ce texte énonce un ensemble de droits fondamentaux qui doivent être au moins équivalents aux libertés dont jouissent les citoyens de ce pays. À titre d’exemple, son article 33 consacre le principe de non-refoulement en interdisant le renvoi ou l’expulsion de réfugiés vers des situations où leur vie ou leur liberté “serait menacée.”

Au sein de l’Union Européenne (UE), les droits des réfugiés sont garantis par les articles 18 et 19 de la Charte des droits fondamentaux de l’UE tandis que l’article 78 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (TFUE) indique que “L'Union développe une politique commune en matière d'asile.” Pour ce faire, l’UE a adopté le règlement Dublin qui oblige généralement un individu à déposer sa demande dans le premier État membre de l’UE qu’il atteint. Une étude du Parlement européen montre ainsi “[qu’]entre 2008 et 2017, dix États membres de l'UE concentraient à eux seuls 90% des demandes d'asiles.” Selon Eurostat, il s’agit notamment de l'Allemagne, l'Italie, la France, la Grèce et de l'Autriche. Face à une situation difficile à gérer, ces pays ont dénoncé un manque de solidarité de la part des autres États membres. C’est pourquoi, le 16 septembre 2020, Ursula von der Leyen a proposé la suppression de ce système, la Commission européenne ayant reconnu qu’il “n'a pas été conçu pour assurer un partage durable.” Au niveau du Conseil de l’Europe, la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) considère que l’article 3 de sa Convention, interdisant les peines ou traitements inhumains ou dégradants, offre une “protection par ricochet” aux réfugiés.

Les droits des réfugiés sont donc garantis et protégés mais leur respect et leur application par les États sont parfois critiquables. Ces derniers disposent de leur propre législation qui ne correspond pas toujours aux exigences posées par les textes internationaux. En effet, le principe de souveraineté permet aux États de déterminer les conditions d’entrée et de séjour des étrangers sur leur territoire. Toutefois, pour tenir les principes énoncés par le droit international, les États doivent garantir la possibilité de solliciter l'asile et sont responsables des conditions d'accueil des demandeurs. Ils ont l'obligation de leur garantir les droits humains fondamentaux : se nourrir, se vêtir, se loger, se soigner et accéder à l'éducation.

En France, le droit d’asile, prévu à l’alinéa 4 du Préambule de la Constitution de 1946, s’est vu reconnaître une valeur constitutionnelle.

Les droits des réfugiés sont appliqués par l’Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA). Lorsqu’une personne est reconnue sous le statut de réfugié par l’OFPRA, elle peut se prévaloir de certains droits, tels que celui d’exercer une activité professionnelle en France ou d’obtenir un titre de voyage. Néanmoins, le statut de réfugié peut aussi être retiré dans certaines circonstances, avec possibilité de recours devant la Cour nationale du droit d’asile et le Conseil d'État. Celui-ci a d’ailleurs contribué à renforcer la protection des demandeurs d’asile. Par exemple, il a jugé que tout étranger peut se prévaloir du droit au respect de sa vie privée et familiale à l’encontre d’un refus de titre de séjour ou de visa. Il reconnaît aussi, dans une décision d’avril 1988, qu’une fois admis à séjourner en qualité de réfugiés, les demandeurs d’asile ne peuvent se voir remettre aux autorités de leur pays d’origine. Par ailleurs, une obligation de résultat pèse à la charge des autorités concernant les conditions matérielles d’accueil dignes, incluant l’hébergement, la nourriture et l’habillement des demandeurs d’asile.

Les droits des réfugiés sont donc reconnus et protégés en France. Cependant, le nombre d’affaires portées devant le Conseil d’État français et la CEDH montre que leur respect laisse encore à désirer. L’exemple de l’expulsion musclée de centaines de migrants par les forces de l’ordre, le soir du 23 novembre 2020, illustre le paradoxe entre la théorie et la pratique. Les demandeurs d’asile étaient venus dénoncer, avec des associations, le manque de places d’hébergement en montant un campement place de la République à Paris. De même à Calais ou Grande-Synthe, lorsque les tentes de migrants sont confisquées, voire lacérées par la police pour les dissuader de se réinstaller. Dans une décision du 23 décembre dernier, enjoignant les exilés de quitter les lieux, le tribunal administratif de Lille a reconnu des “conditions de sécurité et de salubrité particulièrement dégradées” mais estime que “l’État met en œuvre à Calais un dispositif humanitaire en faveur de la population migrante.”Pourtant, les associations ont “constaté plusieurs cas d’hypothermie et des évacuations sèches, sans proposition de prise en charge par les autorités.” L’action des associations semble donc plus efficace que celle des autorités publiques.

Enfin, le sujet des réfugiés divise l’opinion publique. Selon une enquête de l’Ipsos publiée en 2019, 50% des français doutent que les réfugiés arrivant en France soient de “vrais réfugiés” et seulement 43% des Français estiment qu’échapper à la guerre ou à des persécutions “constitue une raison suffisamment légitime pour se réfugier.”

La situation est encore plus sinistre au Liban. Alors que c’est l’État qui héberge le plus de réfugiés par habitants au monde, il ne leur offre presque aucune protection juridique. En effet, le Liban n’a pas ratifié la Convention de Genève de 1951 ni son Protocole de 1967. 

Certainement, le pays a ratifié de nombreux traités qui garantissent les droits fondamentaux de manière générale, ainsi que des conventions qui œuvrent pour la non-discrimination ; mais il n’existe aucune loi ou règlement qui garantit spécialement le respect et la protection des droits des réfugiés.

Le Liban, étouffé par un nombre énorme de réfugiés, a d’ailleurs mené une politique très ferme à leur égard. En effet, en janvier 2015 ont été introduits de nouveaux critères pour le renouvellement des permis de séjour – dont le paiement s’élève à une somme de 200$. Une procédure tellement lourde que le nombre de syriens n’ayant pas de permis est passé de 9% à 61% en sept mois. En plus, il est requis, pour ceux qui ne sont pas enregistrés auprès de l’Agence des Nations Unies pour les Réfugiés (HCR), de trouver un “sponsor.” Ce critère favorise la corruption ; des sponsors vendent leurs parrainages à des prix déraisonnables ou les offrent en contrepartie de travail. Sans permis de séjour, les réfugiés doivent repenser leurs moindres déplacements par peur d'être interpellés. Néanmoins, les restrictions ne s’arrêtent pas là : en décembre 2014, le gouvernement a limité le travail des syriens aux secteurs de l’agriculture, l’hygiène et la construction. Ces restrictions violent clairement le droit international, et font l’objet d’une recommandation adressée par le Comité pour l’Élimination de la Discrimination à l’égard des Femmes. Celui-ci invite le pays à réexaminer cette législation de travail qui prive les réfugiés de leurs droits.

Sans sécurité, ni travail, 55% des réfugiés étaient sous le seuil de l’extrême pauvreté en 2019. Au bout d’un an, le chiffre est passé à 89%. Le pays est en effet tombé dans une crise économique sans précédent avec un taux d’inflation mensuel de 52,6%.Steve Hank, économiste américain, parle d’une « hyperinflation ». 

Avec une crise qui affecte l’ensemble des habitants – réfugiés ou non – les tensions s’accentuent, et se révèle alors la xénophobie ancrée dans le système libanais. Au lieu d’accuser le système oligarchique, de se retourner contre les politiciens qui se sont prouvés incapables de gouverner; les libanais voient, dans la guerre syrienne, l’origine de toutes leurs crises – politique, sociale et économique. On les accuse d’être responsables de tous les problèmes” témoigne Hiba, une réfugiée syrienne. Cette hostilité s’est d’ailleurs récemment manifestée par un incendie qui a détruit un camp de réfugiés au nord du Liban qui hébergeait environ soixante-quinze familles. Le 27 décembre 2020, des libanais ont en effet incendié quelques tentes suite à une dispute avec des travailleurs syriens qui aurait pour origine des salaires non versés mais surtout le harcèlement d’une femme syrienne.

Cet épisode n’est pas isolé : un mois plus tôt, un habitant de la ville de Bécharré fut assassiné par un réfugié syrien. En réaction, les habitants ont incendié les domiciles de syriens ; le maire de la ville a même demandé leur expulsion. En quelques jours, 270 familles de réfugiés ont dû fuir vers d’autres villes. 

En somme, au Liban, les réfugiés ne se déplacent pas ; non par peur d’attraper la COVID-19, mais pour ne pas être interpellés sans permis de séjour – un permis qu’il leur semble impossible d’obtenir. De plus, ils vivent dans l’extrême pauvreté et, pour remédier à cela, acceptent les salaires les plus bas et se trouvent exploités, dépourvus d’une protection dispensée par le droit du travail. Le comble, c’est qu’ils sont écartés de la société, perçus comme « le problème à résoudre » et traités comme des inférieurs. Après avoir fui la Syrie, il semble que le gouvernement libanais veut lui aussi les chasser.

Ainsi, si les droits des réfugiés sont théoriquement garantis, la mise en place de procédures insuffisantes ou restrictives n'offre pas la protection attendue. Amnesty International dénonce dans de nombreux pays l’existence de procédures peu accessibles, des conditions d'accueil déplorables ou inexistantes et l’absence d’un système de solidarité. L’anniversaire des 70 ans du Haut-Commissariat des Nations Unies pour les Réfugiés le 14 décembre dernier, alors que celui-ci n’aurait dû exister que trois ans, invite à une remise en question.

Un programme de partenariat exclusif pour la coédition articles et analyses de droit de ELSA, Lyon et The Phoenix Daily

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