Le Pari de Pascal, version Beyrouth 2020

Analyse d’opinion de Nadim Choueiri, rédacteur

Decembre 10, 2020

Il y aurait bel et bien un état d’esprit qui domine aujourd’hui la plupart des Libanais, ou du moins une grande partie de la jeunesse libanaise : celui de l’incertitude. Face à un Liban qui se déconstruit sous nos yeux, jour par jour et scandale par scandale, nous ne pouvons qu’être perplexes par rapport à notre présent mais surtout notre avenir. Plus les jours passent, plus nous constatons que l’incompétence – ou plutôt l’impotence – de la classe dirigeante noie le pays davantage dans une sorte de léthargie aux effets destructeurs. 

Serait-ce trop tard ? 

 

Une question se pose alors dans la tête d’une bonne partie de ceux qui planifient leur avenir : Croire en le Liban, y rester, et garder espoir ? Ou quitter ce pays, qui n’est plus ce qu’il était, pour une vie stable garantie à l’étranger ? 

 

Pascal, philosophe du 17ème siècle, aura fourni un semblant de réponse pour une question plus ou moins similaire. Le dilemme qu’il pose est celui de la foi en Dieu : faudrait-il croire en Dieu, ou pas ? Qu’y a-t-il à gagner, ou perdre ? 

Afin de répondre cette question, il met au point un pari, qui sera connu comme étant le pari Pascalien, ou le pari de Pascal. 

 

Le Pari de Pascal

Pour lui, quand il s’agit de la croyance en Dieu, il y a quatre issues possibles, présentées ici sous forme de tableau : 

Pour Pascal, la meilleure option serait donc de croire en Dieu, soit, prendre le pari de croire, d’avoir la foi. En cas d’existence de Dieu, l’un sortira vainqueur, avec un gain infini dans la vie après la mort, au paradis. En cas de non-existence d…

Pour Pascal, la meilleure option serait donc de croire en Dieu, soit, prendre le pari de croire, d’avoir la foi. En cas d’existence de Dieu, l’un sortira vainqueur, avec un gain infini dans la vie après la mort, au paradis. En cas de non-existence de Dieu, il s’agira d’une petite perte, et l’un retournera à un état de non-croyant. 

Toutefois, ne pas croire en Dieu alors que Dieu existe conduirait à une perte infinie, avec un accès à l’enfer. Le choix le plus judicieux serait alors pour lui d’avoir la foi.

 

Appliquons maintenant cette logique-là à la question que nous avons posée précédemment : Faut-il avoir espoir en l’après-crise libanaise, et croire en le Liban ? Ou faut-il plutôt s’interdire d’avoir espoir, et quitter le Liban, pays pour lequel il est déjà trop tard ? 

Si nous transposons la logique de Pascal à notre situation, nous obtenons le tableau ci-dessous :   

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Grâce aux efforts continus de la classe dirigeante d’aujourd’hui – et d’hier, et d’avant-hier – la meilleure option pour un jeune Libanais vivant au Liban serait, selon la logique du pari Pascalien, de partir.

L’option de voir un Liban renaître de ses cendres semble quelque peu utopique à cette heure, au vu de la gestion de la crise économique et sociale qui semble s’inspirer de la gestion de cabarets, et au vu de la réaction de nos dirigeants face à l’explosion du 4 Août 2020, réaction inexistante.

 

Toutefois, comme le dit Pascal, « Le cœur a ses raisons que la Raison ne connaît point ». 

Somme toute, nous ne sommes pas des êtres humains focalisés exclusivement sur notre sens logique et rationnel, mais nous sommes enclins à suivre le sens du cœur et des sentiments, raison sans doute pour laquelle beaucoup de Libanais restent et aiment toujours la patrie, sans forcément comprendre pourquoi, rationnellement. 

Beaucoup ressentent le besoin de rester, surtout quand la situation empire. 

 

Se résumer automatiquement à cette logique issue de cette adaptation du pari serait en quelque sorte s’avouer vaincu, et avouer sa défaite. 

Avouer sa défaite face à une incompétence qui n’est pas la nôtre finalement, de laquelle nous avons hérité, et devant laquelle nous ne devons pas reculer. 

 

Combattre : du Liban ou d’ailleurs

Chaque nouveau scandale, chaque nouvelle démonstration d’incompétence du gouvernement est une insulte à la dignité et l’intellect de chaque Libanais. Face à ces insultes qui se répètent, quitter le Liban est une bonne option, une option préservant la dignité. Ce qui compte serait de lutter, de combattre. 

Nous entendrons souvent certains dire qu’il faut rester fidèle à la patrie, et ne pas quitter le pays. Mais rester au Liban dans un état végétatif subissant le mutisme absolu coup après coup n’aide pas la situation : celle-ci ne fait qu’empirer. 

Plus nous sommes muets face à l’injustice, plus celle-ci prend son aise dans son entreprise, ou le cas échéant, plus ils prennent leur aise dans leur entreprise de pillage – et c’est peu dire - qui se fait désormais à découvert. 

Il s’agit donc de combattre, du Liban ou hors de lui, de manifester, notamment par les idées, les écrits et les débats, pour tenter de fissurer et d’abattre les monuments d’incompétence que sont devenus notre État et notre gouvernement. 

Cela serait une forme de résistance, mais avant tout une forme d’espoir, non pas en le pays, mais en soi-même. 

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