Le droit de la nationalité : à chaque État, son débat Étude de cas : Le Liban

Analyse de Nour Lana Sophia Karam, rédactrice et Josette Ramarojaona, rédactrice

Février 18, 2021

« Mes enfants n'ont pas de nationalité : le pays d'origine de leur père la leur refuse sous prétexte qu'ils sont nés en Égypte, et l'Égypte la leur refuse parce que je suis mariée à un étranger… ». 

Entre appartenance et identité, la place de la nationalité reste importante dans nos sociétés actuelles. Qu’en est-il du Liban ? Souvent qualifié de « berceau du vivre ensemble », il semblerait que la transmission de la nationalité y soit complexe…

La nationalité se définit généralement comme un lien juridique entre un individu et un État. Cela lui confère des droits, des devoirs, mais aussi une protection juridique à l’échelle internationale. Elle permet en outre d’appartenir à un groupe humain donné et de partager une histoire, des valeurs, une langue commune.

Concernant l’attribution du droit de la nationalité à travers le monde, nous pouvons constater qu’il existe deux systèmes distincts bien que souvent complémentaires : droit du sang et droit du sol.

En effet, le droit du sang ou le jus sanguinis est le système d’obtention de la nationalité le plus répandu dans le monde. Il prévoit qu’un enfant hérite de la nationalité de l’un ou de ses deux parents. Il est appliqué notamment dans la majorité des pays européens, mais aussi en Afrique, et dans presque toute l’Asie. En ce sens, le Code civil français dispose en son article 18 qu’ « est français l'enfant dont l'un des parents au moins est français ».  Ainsi, pour le jus sanguinis, l’acquisition de la nationalité de l’enfant ne dépend pas de son lieu de naissance.

À l’inverse, le droit du sol ou le jus soli implique que le demandeur d’une nationalité donnée soit né sur ce même territoire. Par-là, l’obtention de la nationalité ne dépendra que de procédures internes plus ou moins complexes. En effet, selon l’article 21-11 du Code civil français, un enfant né sur le territoire Français de parents étrangers pourra obtenir la nationalité française « par déclaration durant leur minorité ». Ce système est notamment appliqué sur le continent Américain ; entre autres aux États-Unis, au Canada, au Chili ou encore au Mexique. Pour autant, le président Donald Trump a affirmé vouloir mettre fin au droit du sol  prévu par le 14ème amendement de la constitution des États-Unis, en vertu duquel tout enfant né sur le territoire américain a la nationalité américaine. Donald Trump, expliquait, dans ce cadre vouloir lutter contre « l’immigration illégale ».

Comme nous pouvons le constater, l’obtention de la nationalité n’est pas chose facile. Malgré l’importance qu’elle revêt, force est de constater les lacunes de certains États à garantir une parfaite égalité entre tous les citoyens. 

Le Liban, quant à lui, semble devoir se battre contre un problème précis : l’inégalité de transmission de la nationalité par les hommes et femmes libanais. 

« En fin de compte, n’est-ce pas absurde de refuser la nationalité d’un État à des enfants que tout attache pourtant à celui-ci ? »Petite fille participant à une manifestation sur la revendication de la transmission de la nationalité …

« En fin de compte, n’est-ce pas absurde de refuser la nationalité d’un État à des enfants que tout attache pourtant à celui-ci ? »

Petite fille participant à une manifestation sur la revendication de la transmission de la nationalité libanaise par les femmes. Source : Anonyme

La transmission de la nationalité au Liban, teintée d’un reste de patriarcat ?

Le 19 janvier 1925, le pays des Cèdres se dote de l’arrêté nº15/S, loi-cadre sur la nationalité libanaise. Malgré l’évolution des mentalités depuis le siècle dernier, cet arrêté qui semble désuet continue pourtant de régir la matière jusqu’aujourd’hui. 

Si l’acquisition à la naissance de la nationalité au Liban repose sur les deux modes connus - le droit du sang et le droit du sol - il n’en demeure pas moins que ceux-ci y soient fortement conditionnés. 

Le droit du sol ne s’applique qu’à des cas spécifiques et de manière très limitée. En effet, sont considérés comme libanais « toute personne née sur le territoire du grand Liban [ndlr Ancienne appellation du Liban] dont il n’est pas établi qu’elle a acquis une nationalité étrangère par filiation »
ainsi que « toute personne née sur le territoire du grand Liban de parents inconnus ou de parents de nationalité inconnue ». Le droit du sol s’érige ainsi en pis-aller, afin d’éviter que des personnes nées sur le territoire libanais ne soient apatrides. 

Le deuxième mode d’acquisition, le droit du sang, prévaut incontestablement sur le premier. Il est prévu à l’article premier de l’arrêté Nº15/S, qui dispose qu’ «est considérée libanaise toute personne née d’un père libanais». Il ressort implicitement des termes de cet article que le législateur libanais a fait abstraction de la possibilité qu’un enfant se voie accorder la nationalité de sa mère. Ceci fait l’objet d’une vive controverse qui ne date pas d’aujourd’hui. 

Certains considèrent qu’une mère libanaise ne devrait pas pouvoir transmettre sa nationalité à ses enfants ou à son conjoint pour des raisons d’ordre sociopolitique : l’argument le plus récurrent est celui de la « perturbation de l’équilibre social », eu égard à la forte présence des réfugiés syriens et palestiniens dans le pays. Les pourfendeurs de cette loi craignent que les Libanaises, en se mariant avec des membres de ces populations de réfugiés, ne menacent l’identité nationale du Liban, en « bousculant l’équilibre entre musulmans et chrétiens ».  

Pourtant, cet argument n’est-il pas transposable aux hommes libanais qui, eux aussi, ont tendance à épouser des étrangères et à leur transmettre - ainsi qu’à leurs enfants - leur nationalité ? 

Très clairement, cette disposition est discriminatoire par excellence envers les femmes et est en contradiction flagrante avec l’article 9 de la Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes.  Celui-ci dispose que « Les États parties accordent aux femmes des droits égaux à ceux des hommes en ce qui concerne l’acquisition […] de la nationalité… ». 

Si l’État libanais a ratifié cette convention en 1997, ce n’est pas pour autant qu’il a laissé tomber les dispositions surannées de l’arrêté de 1925. C’est pourquoi il a formulé des réserves quant à la nationalité, se donnant le droit de déroger à la Convention en la matière. 

Human Rights Watch a plus d’une fois exhorté le gouvernement libanais à mettre fin à cette culture de la discrimination et à amender cette disposition sexiste, puisqu’à cause d’elle, les enfants des Libanaises mariées à des étrangers sont souvent exclus de la vie en société au Liban. Ces derniers ne peuvent pas, entre autres, participer à la vie politique (ils ne votent pas aux élections législatives) ; ils ont difficilement accès au secteur de l’éducation publique ; doivent demander des permis de résidence pour vivre dans leur propre pays, et ne bénéficient pas du droit au travail comme les citoyens libanais puisqu’ils ont besoin d’un permis de travail -dont l’obtention se heurte à plein d’obstacles- pour travailler légalement au Liban. 

Non sans surprise, cette disposition est également en contradiction avec la Constitution libanaise qui prévoit pourtant dans son préambule que « le Liban est une république démocratique, parlementaire, fondée sur […] l’égalité dans les droits et obligations entre tous les citoyens, sans distinction ni préférence ».

Militant depuis tout temps pour que soit amendé ce texte, les femmes libanaises font de cette demande leur revendication angulaire et espèrent un jour pouvoir, tout comme les syriennes, les jordaniennes, et les irakiennes, mettre fin à la discrimination à leur égard, notamment en matière de transmission de nationalité. 

En fin de compte, n’est-ce pas absurde de refuser la nationalité d’un État à des enfants que tout attache pourtant à celui-ci ? 

Sentir qu’on appartient, ou appartenir ? C’est bien là le dilemme. 

« L'identité n'est pas donnée une fois pour toutes, elle se construit et se transforme tout au long de l'existence. » Amin Maalouf

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