"L'apartheid vaccinal" mondial Covid-19: l’accès inégal aux vaccins, au niveau mondial, régional et national.

Analyse d’opinion de Cherly Abouchabke, rédactrice

21 Mai, 2021

La spirale infernale n’a toujours pas repris ses esprits. Le monde, aujourd’hui plus que jamais, lutte inlassablement contre les séquelles de la pandémie de la Covid-19. Une lueur d’espoir avait surgi avec l’annonce d’une solution au drame global : les vaccins. Alors que tous les pays se sont acharnés à prévoir les quantités requises de vaccins pour subvenir aux besoins de leurs citoyens, il est intéressant de constater que, malgré la main mise sur ce « prodige », les résultats sont loin d’être au beau fixe à toutes les échelles. Depuis que ce “vaccin miracle” a vu le jour, il n’a effectivement donné que du fil à retordre en créant des inégalités dans la distribution au niveau mondial, régional et national.

 

Au lieu d’essayer d’estomper l’ampleur de l’avalanche universelle qui ravage les 4 coins du monde depuis plus d’un an, il semble que le vaccin au contraire ne fait qu’exacerber ces problèmes endémiques, en engendrant des disparités flagrantes et choquantes à tous les niveaux. « L’accès et la distribution actuels inégaux et inéquitables des vaccins contre la Covid-19 exacerbent les inégalités mondiales, ce qui, associé à l’émergence des variants, risque de prolonger la pandémie », a averti l’OMS dans son dernier bulletin épidémiologique.

 

Le monde a achevé un succès phénoménal, une réalisation scientifique sans précédent en administrant un milliard de doses de vaccins COVID-19, quatre mois seulement après que l'Organisation mondiale de la santé (OMS) a approuvé le premier vaccin. La vitesse à laquelle ils ont été administrés est effectivement remarquable, mais une répartition inégale des vaccinations met en évidence des disparités mondiales. 

 

A la date du 27 avril1,06 milliard de doses avaient été administrées à 570 millions de personnes, ce qui signifie qu’environ 7,3% de la population mondiale de 7,79 milliards d’habitants avait reçu au moins une dose. Mais les scientifiques disent que plus de 75% de la population mondiale devra être vaccinée pour maîtriser la pandémie. 

Environ les trois quarts de toutes les doses sont allés à seulement dix pays. La Chine et les États-Unis représentent à eux seuls près de la moitié de toutes les doses distribuées, mais seulement 2% sont allés à l'ensemble du continent africain. En effet, selon un bilan de “l’Agence France-Presse, plus de 455 millions de doses ont été administrées dans le monde, dont plus d'un quart aux États-Unis. Globalement, seulement 0,1% des doses administrées dans le monde l'ont été dans des pays à "faible revenu", tandis que les pays à "revenu élevé" (16% de la population mondiale) concentrent plus de la moitié des doses injectées (56%).

Au niveau international, le phénomène de “diplomatie vaccinale” a retrouvé ses lettres de noblesse puisque l’accès au vaccin a principalement été lié au niveau de richesse des nations ou à des accords bilatéraux avec d’autres pays ou des fabricants, ainsi qu’à des dons. Astra Zeneca, par exemple, facture 5,25 USD par dose à l'Afrique du Sud, contre 2,16 USD à l'Union européenne.

 

Le déploiement du vaccin est entravé par des inégalités qui freinent la lutte contre le virus, non seulement au niveau international, mais également au niveau régional. Effectivement, l’accès au vaccin contre la Covid-19 représente dès lors un miroir des inégalités au Proche-Orient. Quand on est arabe et que l’on s’impatiente d’être immunisé contre la Covid-19, il vaut mieux habiter un Etat du Golfe ; le slogan étant “plus on est riche, plus on est vacciné tôt”. Shadi Saleh, directeur du Global Health Institute de l’Université américaine de Beyrouth, distingue trois types de pays : “En tête, on trouve les monarchies de la péninsule Arabique, qui ont été proactives et ont passé commande très vite, pour être livrées en grande quantité. Ensuite, il y a les Etats avec des ressources limitées, comme l’Egypte, le Liban et la Jordanie, qui ont reçu des vaccins en petite quantité, souvent grâce à une aide étrangère, et attendent leur quote-part du Covax [le mécanisme de distribution du vaccin de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) destiné aux pays pauvres]. Et, enfin, il y a les pays en crise, comme la Syrie, le Yémen, l’Irak et la Palestine, où la campagne de vaccination n’a même pas encore commencé”. Le Moyen-Orient ​représente de la sorte à lui seul un microcosme de ce problème planétaire d’inégalités d’accès aux vaccins. Dans cette bataille, où les pays riches se taillent la part du lion, et les Etats les plus pauvres se décarcassent pour survivre à la pandémie, les inégalités ne cessent de s’accroitre. Entre les Emirats arabes unis (EAU), fédération gorgée de pétrodollars qui prend le devant de la scène en matière de vaccination dans la région, et la Syrie, Etat anéanti par dix années de guerre civile, le gouffre est béant. L’Iran, pays également déchiré par une guerre intestine, doit jongler avec de vagues calendriers de déploiement et une logistique complexe. 

Les inégalités sont beaucoup plus choquantes en Israël et dans les territoires palestiniens. En effet, le manque d’égard envers les Palestiniens et leur bien être demeure jusqu’à ce jour, monnaie courante. En Israël, où près de 60 % de la population a été vaccinée, les Palestiniens vivant sous l’occupation ont été informés qu’ils pourraient devoir attendre plusieurs mois avant de recevoir des doses. De plus, alors que les Israéliens ont rouvert bars et restaurants, les hôpitaux des Territoires palestiniens sont submergés par des patients atteints de la Covid-19. 

Afin d’essayer de remédier aux problèmes des pays les plus faibles et les plus touchés par la pandémie, la communauté internationale a décidé de lancer Covax, une initiative mondiale chapeautée par l'ONU regroupant 190 pays pour fournir aux pays du monde entier un accès équitable aux vaccins. Si des efforts monstres sont déployés dans la plupart des États pour remédier à ce fléau, il n’en demeure pas moins que les inégalités persistent et même flamboient. 

 

Dans les pays gangrenés par la guerre, la corruption et le clientélisme, les systèmes de santé malmenés et le manque de transparence ne garantissent pas que les vaccins qui arrivent au compte-gouttes parviennent à ceux qui en ont le plus besoin, bien au contraire, ces pays consacrent la prépondérance de l’intérêt privé sur l’intérêt général. De la sorte, au niveau national, les proches du pouvoir et ceux qui ont des liens avec des compagnies pharmaceutiques sont en train d’emmagasiner les vaccins, et de priver de la sorte le reste de la population d’avoir accès à ces derniers. Effectivement, la vaccination de députés libanais au tout début du processus de vaccination a suscité une grave polémique qui a poussé la banque mondiale à remettre en question son support au gouvernement libanais dans la matière. Le Zimbabwe semble être également victime du même sort. Le ministre zimbabwéen de la Santé a été arrêté pour corruption présumée lors de l’achat de matières médicales pour la Covid-19. Le directeur de l'épidémiologie et de la lutte contre les maladies du pays a été arrêté pour “abus criminel de devoir” pour avoir prétendument payé des « frais de facilitation » inappropriés à des collègues, avoir utilisé des bons d'essence consacrés au personnel de santé pour se faire acheter des voitures privées, et embauché des parents et cousins pour former des agents de santé dans le cadre du déploiement de la Covid. 

De plus, en Allemagne, des politiciens ont sauté la ligne de vaccination, tandis qu'au Pérou, un scandale de vaccination baptisé “VacunaGate” a éclaté: Les noms de 487 personnalités péruviennes (fonctionnaires d’Etat notamment) vaccinées de façon anticipée et dans le secret, grâce à des doses offertes par le laboratoire chinois Sinopharm, ont été divulgués par le président, Francisco Sagasti, ce qui a suscité des opinions mitigées dans un ce pays surchauffé par l’amas de crises s’abattant sur lui, depuis les dernières années.

Plusieurs communautés vivant au sein d’un même pays sont pareillement touchées de plein fouet par « l’apartheid vaccinal ». En effet, il existe dans au moins 103 pays, des refugiés qui ont été confrontés aux effets de la Covid-19. Cependant, moins de 57% des pays ont pris en compte ces réfugiés dans leurs stratégies nationales de vaccination, en ne leur accordant pas un calendrier de vaccination clair. 

La discrimination raciale au sein d’une même nation a également chamboulé les progrès dans la lutte contre la Covid-19.  Par exemple, une étude britannique a révélé que sur 1,1 million de personnes âgées de plus de 80 ans traitées pour des problèmes de santé dans des cliniques et des hôpitaux entre décembre et janvier, 42,5% des participants blancs avaient été vaccinés, contre seulement 20,5% des participants noirs. La même étude a également trouvé des preuves de divisions selon des critères socio-économiques.

 

Au vu de la mauvaise gérance du processus de vaccination, rien ne présage dans plusieurs pays – notamment les moins développés – un retour normal à la vie ordinaire dans le futur proche. Pour mettre fin à la Covid-19, il faut avoir accès aux vaccins. Pour mettre fin à la Covid-19, il faut vacciner tout le monde. Pour mettre fin à la Covid-19, il faut vacciner TOUT LE MONDE ET DE MANIERE EGALITAIRE. 

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