La “netflixisation” des comportements sociaux

Analyse d’opinion de Cherly Abou Chabke, rédactrice

Mars 26, 2021

Que ce soit la famille, l'école ou les groupements religieux, il est clair que ces derniers ont joué un rôle primordial à l'égard du façonnement de nos personnalités. Or, aujourd’hui, avec l’extension prodigieuse des médias, il s'avère impossible de contester l’influence des nouveaux acteurs qui ne cessent de remettre en question nos traditions et nos modes de vie. Effectivement, nos comportements sociaux sont plus que jamais affectés par l'entrée en force des réseaux sociaux et des “global streaming devices”. Nous ne pouvons balayer d’un revers de main cette altération de facteurs affectant nos routines quotidiennes complètement bouleversées par la pandémie de la Covid-19. Netflix, le plus grand service de streaming au monde, est l’exemple emblématique de cette hypothèse et pourrait lui-même être la cause de sa raison d'être en premier lieu... 

 

Le chaos dans lequel le monde est submergé depuis le début de la pandémie ainsi que la façon dont les dogmes ont été chamboulés en 2020 ont nécessairement poussé un changement au niveau de la conduite des personnes. Ces dernières restant tout le temps chez elles, il n'est pas inouï que le nombre de streaming soit plus élevé que jamais. Selon Covina, la durée globale en streaming a augmenté de 57% dans le monde depuis 2019, aboutissant à 935 milliards d'heures passées sur les applications de streaming vidéo en 2020. 

 

Le monde donc assis sur son canapé demeure assujetti à ces séries et films qui, qu’on le veuille ou non, influencent d’une manière considérable presque tous les volets de nos vies. Pourtant, au-delà de l'investissement de temps dans les intrigues et les personnages, comment ce temps dédié au visionnement de séries nous affecte-t-il réellement et la société en général? Cela affecte-t-il ce que nous mangeons? Comment nous nous habillons? Nos goûts musicaux?

 

En effet, nous ne pouvons plus être surpris aujourd’hui par les éléments que nous aimerions incorporer dans notre “lifestyle” à cause du comportement d’un certain personnage qui nous passionne dans une série quelconque. Il est donc fascinant de voir comment l'évolution humaine et sociale elle-même s'adapte peu à peu aux développements technologiques. Par exemple, il est assez facile de déchiffrer le type de tendances fournies par “Emily in Paris” : l'une des plus grandes est la mode. Les recherches de “bob” (bucket hat) ont augmenté de 342% après la sortie de la série, par exemple. Les gens ainsi inspirés par le mode de vie parisien et le luxe fourni par la série ont de la sorte été incités à essayer de trouver des moyens pour créer un “Paris à domicile”. 

De la sorte, à une époque où nous sommes forcés de passer plus de temps que jamais sur le canapé, il n'est pas surprenant que les émissions de télévision semblent avoir plus d'incidence sur nos garde-robes que les podiums et le “street style” qui déterminent généralement les tendances. En 2020, tout était question d'imprimés animaux grâce à “Tiger King”, et de colliers en chaîne à la suite de “Normal People”. Le pouvoir de la télévision sur notre garde-robe a ensuite atteint son paroxysme en 2021 grâce au succès de Netflix « Bridgerton ». Selon le service d'achat social « Like To Know It », les recherches de corsets ont augmenté de 1 000% depuis que « Bridgerton » est arrivé sur nos écrans. La Chronique des Bridgerton a ainsi fait exploser les recherches pour la « robe empire » et plusieurs sites proposent actuellement des alternatives pour s'approprier les dernières tendances de la série. 

 

Or, il ne s’agit pas seulement de notre tenue vestimentaire, qui semble être influencée par les séries télévisées, mais il parait également que nos “hobbies'' semblent également être la victime de ces dernières transformations. Qui aurait cru qu'une série basée sur le jeu d’échecs pouvait réaliser un succès monumental et atteindre tous les coins du monde? C’est ce que la série « The Queen’s Gambit » a réussi à accomplir, et elle a contribué à jouer un rôle dans le modelage de la société d’aujourd’hui. Cela est dû à un regain d'intérêt marqué pour les échecs qui apparemment sont devenus beaucoup plus à la mode ces derniers temps. Le mot «échecs» a augmenté de 88% le volume de recherche après la première de « The Queen’s Gambit ». L’implication des personnes dans ce domaine s’est aussi illustrée par l'augmentation de 500% du nombre de joueurs trouvés sur Chess.com, et selon eBay, à travers une augmentation de 273% des recherches de jeux d'échecs dans les 10 jours suivant la sortie de l'émission. 

 

Le succès des « global streaming devices » se traduit de même au niveau des pays dans lesquels les séries ont été filmées, grâce à l' essor de l'activité touristique et économique. Effectivement, l'étude de cas classique est celle de l'explosion du tourisme en Écosse. Ce pays n'est pas étranger au boom du tourisme, généré par le cinéma ou le petit écran. En effet, depuis des années, le pays profite de la manne touristique créée par des films comme « James Bond : Skyfall » ou la saga « Harry Potter ». Véritable succès télévisuel, depuis son lancement à la télévision en 2013, la série « Outlander » a encore contribué à créer un véritable engouement pour le nord du Royaume-Uni. Les sites de la série ont connu une augmentation de 67% de la fréquentation . De même, la série Netflix « Sex Education », regardée par plus de 40 millions de téléspectateurs dans le monde depuis sa sortie, a déjà vu un afflux exceptionnel de touristes se précipiter vers ses lieux de tournage dans une petite vallée inconnue du Pays de Galles. Sous cet angle, avec « Emily in Paris » susmentionnée, l'intérêt pour la capitale française elle-même en tant que destination de voyage s'est également considérablement accru. Les recherches sur «Paris» ont augmenté de 43% après le lancement de la série sur Netflix. Cela a également conduit à la création d'une tournée « Emily in Paris », qui explore divers lieux qui ont été présentés dans la série. 

 

Néanmoins, il convient d’envisager, dans ce contexte, le revers de la médaille, et donc les conséquences néfastes que ces séries peuvent causer. En effet, il est clair que ces dernières poussent les personnes à créer une réalité différente de celle dans laquelle ils vivent. Cependant, dans plusieurs cas, cette réalité peut mener à des résultats non désirés, affectant les comportements sociaux des personnes. La finale graphique et troublante de la série à succès Netflix « 13 Reasons Why » est l’exemple type de ce cas.

La finale visait à révéler la nature graphique du suicide - la vraie mort - comme lente, douloureuse et laide. Elle a été conçue, selon l'un des auteurs de l'émission, pour contrebalancer les faux récits qui décrivent le suicide comme un moyen romantique de prouver aux gens qu'ils ont tort ou de se venger. Malheureusement, une nouvelle étude suggère que si certaines personnes qui ont regardé la série ont été inspirées par les informations de Google sur la prévention du suicide, d’autres ont fini par chercher des informations sur la façon de se suicider.

 

De même, ces séries peuvent aboutir à la création d' une perception erronée au niveau de plusieurs sujets. La plupart des fans de la série « Grey's Anatomy » pensent que les émissions sont réalistes alors que ces dernières influencent d’une façon considérable nos perceptions de la médecine. Certes, les  drames médicaux peuvent encourager les jeunes professionnels à se lancer dans la médecine, cependant leur effet secondaire est l'augmentation probable de la peur pure et paralysante de nos propres problèmes médicaux. Une enquête menée en 2017 auprès de 162 patients a révélé que plus les patients regardaient des drames médicaux, plus ils étaient susceptibles de paniquer à propos de leurs propres problèmes de santé. Ceux qui regardaient plus de deux épisodes par semaine avaient beaucoup plus peur des chirurgies à venir que ceux qui ne le faisaient pas.

 

Les séries télévisées ont troublé de plein fouet nos modes de vie. Néanmoins, il est vital de prendre conscience de leurs effets secondaires pour ne pas leur permettre de nous verrouiller encore plus dans nos canapés.

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