“2020”, corollaire de manifestations ?

Analyse de Josette Ramarojaona, rédactrice et Cherly Abou Chabke, rédactrice

Janvier 22, 2021

“2020”, synonyme de cataclysme pour plusieurs aujourd'hui, fut indubitablement une année parsemée par des manifestations et des mouvements populaires dans les quatre coins du monde. Les réseaux sociaux, bombardés par des “Hashtags” comme #SupportBeirut, #BlackoutTuesday, #BlackLivesMatter #JeSuisProf, témoignent de l’ampleur de ces mobilisations qui ont pu de la sorte ranimer Le “Hashtag Activism”. 

Que ce soit à cause des conséquences du capitalisme féroce, de la corruption, de l’injustice ou de la volonté de renverser, de changer “l’establishment”, il est clair que les populations dans la majorité des pays ont décidé de se révolter et de s’indigner.  

Un mouvement populaire, ne peut changer de « fond en comble » comme par miracle, la situation, mais peut donner quand même la pulsion de ne plus se taire. Une révolution quant à elle, est plus générale et aboutit à un certain résultat. Alors que dans la majorité des évènements qui se sont déroulées cette année, nous n’avons pas eu de véritables résultats concrets de changement, cependant, nous ne pouvons dénigrer l'intensité de ces mouvements populaires. Donc retenons, malgré tout : les populations ont “enfin bougé” en 2020. 

Sous cet angle se pose la problématique suivante : Pourquoi 2020 a-t-elle été l'année emblématique de l’ascension des mobilisations ? 

Ainsi, avant de tenter de se libérer de l'emprise du souvenir pénible qu’a été 2020, il serait intéressant de présenter les motifs qui ont incité les populations “à bouger”. À cet égard, il convient d’envisager d’abord, la prise de conscience et la volonté de changement, pour évoquer par la suite la contestation des systèmes politiques en place, pour finalement aborder la question de la protection et du respect des droits de l’homme. 

 

Tout d’abord, comme nous venons de le mentionner, plusieurs populations ont décidé cette année de se réveiller de leur sommeil profond, ou bien de retirer les lunettes qui masquaient la réalité et finalement de prendre conscience des circonstances dans lesquelles elles vivent et dont elles sont victimes. Cela est particulièrement le cas au Liban, où les nouvelles ont fait la une des journaux tout au long de 2020 - nouvelles morbides et catastrophiques -  avec l’effondrement économique, le cauchemar politique, la crise sanitaire, la carence de l’État et certainement le drame du 4 août.

Capitalisme de connivence, clientélisme, corruption qui a atteint son paroxysme durant les 30 dernières années, irresponsabilité et négligence des élites politiques, ne représentent qu’une énumération assez timide des facteurs qui ont poussé les libanais à descendre dans les rues en Octobre 2019 et à dénoncer un système, un régime et un État défaillants. Les manifestations se sont prolongées sur une longue période même durant 2020, mais se sont heurtées à la crise du COVID-19, qui a empêché les rassemblements. Cependant, l’agonie des libanais ne fait que s’intensifier aujourd’hui, surtout après l’explosion et les prix qui flambent.

 

Cette volonté de changement pourrait également être assimilée aux manifestations - singulières à plus d’un titre- des États-Unis, suite à l'assassinat de George Floyd le 25 mai 2020.. Afin de contester le racisme systémique, la discrimination fondamentalement encrée dans l’“establishement” et surtout la violence policière envers les afro-américains, des manifestants de toutes les races - ce qui n’était pas du tout le cas durant les années 1960- se sont rassemblés en foule dans les 50 États américains pour dénoncer l’injustice et pour exprimer leur prise de conscience. Cette contestation qui a essaimé dans le monde entier (Paris, Madrid, Rome, Bruxelles, Copenhague, Budapest, l'Australie, Tunisie, la Grande-Bretagne), a eu des effets incontestables. 

Il est intéressant de constater que dans les deux cas libanais et américains, les manifestations ne se sont pas cantonnées à la volonté de changement, qui a caractérisé le mobil social dans ces mouvements populaires, mais ces dernières ont ultérieurement dévié de leur objectif en amont, en dénonçant tout le système politique en aval, et en demandant des réformes à ce volet-là.   

 

Dès lors, il est essentiel d’aborder la question des systèmes politiques contestés qui ont incité plusieurs manifestants à sortir dans les rues.  

L’exemple de Hong Kong permet d’abord d’illustrer parfaitement la situation. En effet, le territoire semi-autonome situé au sud de la Chine, est l’une des « régions administratives spéciales » (RAS) de la République populaire. Ex-colonie britannique rétrocédée à Pékin en 1997, Hong Kong vit depuis, sa pire crise politique.  En 2020, après des manifestations quasi-quotidiennes en 2019, le Parlement chinois a approuvé un texte controversé sur la "sécurité nationale" à Hong Kong qui a enragé des milliers de manifestants pro-démocratie qui ont décidé de protester dans les rues de Hong Kong, contre la disposition jugée liberticide. 

Sous cet angle, des manifestations bouillonnent constamment au sein du pays, réputé notamment pour la révolution des parapluies en 2014, qui eut un impact considérable sur l'échiquier politique du territoire. Cette dernière est parvenue à mobiliser un très grand nombre d'étudiants et plusieurs dizaines de milliers de Hongkongais à contester une réforme politique très restrictive et antidémocratique proposée par le Parti Communiste Chinois. 

 

Dans ce contexte, il serait difficile de ne pas faire un parallélisme entre les manifestations en Thaïlande, qui des caractères similaires à celles de Hong Kong, au niveau de la structure, des acteurs et de leurs formations. Cependant, les demandes différent entre les deux territoires.  En effet, en 2020, les jeunes Thaïlandais qui “rêvent de changement ont manifesté pour plus de démocratie dans le pays et, fait inédit, une réforme de la monarchie. Ce soulèvement n’a cessé de gagner de l’ampleur, devenant la mobilisation la plus importante depuis 2014. Ces manifestants ont trois revendications majeures : la fin du harcèlement des opposants politiques, la démission du Premier ministre Prayut Chan-ocha, ainsi que la modification de la Constitution adoptée en 2017.

 

Tout comme en Thaïlande et à Hong Kong, les Indiens contestent à leur tour des mesures législatives. “Constitution à la main, Beaucoup d'hindous, de Sikhs et de chrétiens ont aussi protesté contre cette loi”. La loi sur la citoyenneté (Citizenship Amendment Act, CAA) adoptée par le Parlement indien en décembre 2019 est source de conflit pour le pays. et pour cause, une politique discriminatoire envers les musulmans. En effet, l’accès à la citoyenneté des immigrés des pays voisins Afghanistan, Bangladesh et Pakistan est remis en question à condition que ces derniers ne soient pas musulmans. Bien que ces pays soient à majorité musulmane, le texte définit comme exclusifs  bénéficiaires les membres des religions Sikh, Bouddhiste, Hindou, Jaïn, Parsi et chrétienne. La minorité musulmane indienne (15% de la population soit 200 millions de personnes) n’entend pas devenir des “immigrés illégaux’’ et souhaite à juste titre, être considérée comme “citoyens indiens” et être titulaire de papiers d’identités. 

La mise en place d’un critère religieux comme facteur de citoyenneté pose problème à de nombreux égards. La Haute commissaire aux droits de l’Homme, Michelle Bachelet, déclare en ce sens que ce texte ne respecte pas les obligations internationales qui interdisent la discrimination fondée sur la race, l’appartenance ethnique ou la religion.  De plus, cette loi compromet la bonne application de l’article 14 de la Constitution Indienne, consacrant le droit à l’égalité.

Dans le Nord du pays, plus de 3000 personnes ont manifesté contre cette loi, faisant près de 200 blessés et 33 morts. Ingrid Therwath, Journaliste et spécialiste de l’Inde, explique  “ces violences sont le fait de nationalistes hindous issus du BJP ( parti du premier ministre)  et de l'Association des volontaires nationaux, le RSS (Rashtriya Swayamsevak Sangh), une organisation ultra nationaliste crée en 1925, sur le modèle des milices fascistes européennes du début du XXe siècle’’. La mise en place de cette loi s’illustre dans le cadre de l’“Hindutva’’, une idéologie politique prônée par le premier ministre indien, afin de faire de l’Inde, une nation exclusivement hindoue. Les dérives de ce nationalisme extrême rencontrent de puissantes oppositions. A À ce titre, neuf États indiens, non gouvernés par ce parti, ont annoncé qu’ils n’appliqueraient pas le texte, et l’Indian Union Muslim League a déposé un recours auprès de la Cour suprême, qui n’a pas encore statué.

L'Inde n'est pas le seul pays touché par une vague contestataire. Accablé, le peuple nigérian a soif de réformes structurelles policières. 

En effet, le Nigéria a été violemment secoué par les manifestations, visant à dissoudre la Brigade spéciale antivol (Special Anti-Robbery SquadSARS). Dès le 8 octobre 2020, la population nigériane se soulève contre les impunités des violences perpétrées par cette unité. Créée en 1992 pour lutter contre les vols, elle a depuis lors, pris son indépendance et a sombré dans une délinquance qui ne porte pas son nom. Utilisation de la torture, arrestations et détentions arbitraires, la liste non exhaustive des comportements de la majorité de ces membres est à déplorer. Le mouvement prend notamment de l’ampleur sur les réseaux sociaux grâce au hashtag #EndSars et à la violence des affrontements. Le gouverneur de l'État de Lagos, Babajide Sanwo-Olu, a déclaré que 25 personnes avaient été blessées dans ce qu'il a décrit comme un "malheureux incident de tir". Le Président Muhammadu Buhari, a par la suite dissous l’unité, mais a réintégré l’ensemble de ces membres au sein d’une  Équipe spéciale d’armements et de tactique (Special Weapons and Tactical Team, SWAT).

L’année 2020 reste marquée par une lutte sans réserve contre les violations des droits fondamentaux. De la sorte, un véritable consensus international sur la nécessité de protéger et promouvoir les droits de l’Homme, émerge. Il en va par exemple, de la révélation de la répression de la communauté Ouïghours par la Chine. 

Face au silence de la population chinoise imposé par les circonstances, la Communauté internationale se mobilise.  Les Ouïghours, ethnie turcophone sunnite vivant dans la région du Xinjiang, sont les premières victimes de la politique anti-terroriste islamiste, lancée par le président Chinois, Xi Jinping. “le Xinjiang a été sauvé alors qu’il était au bord du chaos, évitant le sort d’une nouvelle Syrie ou d’une nouvelle Libye” défend un éditorial du Parti Communiste Chinois.

Bafouant les droits humains, une véritable politique d’internement, de répressions, et de “dé-radicalisation’’, se met en place. Face à elle, un vent de mobilisation prend vie. C’est par la diffusion d’un carré bleu sur sa photo de profil, symbole de soutien aux ouïghours, que Raphaël Glucksmann popularise son combat. Député Socialiste Européen, son but est simple, “Mettre la pression sur nos dirigeants et les multinationales, montrer aux Ouïghours qu’ils ne sont pas seuls’’ écrit-il dans ses “stories”. Avec sa liste de “la honte” réunissant les plus grandes multinationales travaillant avec des usines bénéficiant de la main d’œuvre Ouïghours, Glucksmann dénonce et veut faire réagir. “Ce qui se poursuit, c’est la lâcheté des dirigeants Européens face au pire crime contre l’humanité du XXIe siècle”, écrit-il sur son compte. Les fruits de cette mobilisation sont multiples. En ce sens, H&M s'est engagée dès septembre 2020 à mettre fin à ses relations contractuelles avec ses fournisseurs impliqués dans cette affaire. Emmanuel Macron a pris position internationalement, condamnant fermement les exactions chinoises. La réalité de cette horreur touchant tout à chacun, Glucksmann déclare “Ensemble, nous combattrons contre ces idéologies de haine qui nous divisent. Nous opposent. Nous tuent”.  

De plus, la France, tristement marquée par l’assassinat de Samuel Paty, le 16 octobre 2020, tué par un terroriste, réitère douloureusement son attache pour les libertés et droits fondamentaux.

Un regain pour la défense de la liberté d’expression a refait surface, réveillant la douleur des plaies de l’attaque terroriste ayant visé Charlie Hebdo en 2015. Liberté de conscience, esprit critique, culture, éducation, ont de la sorte incité la population française tout au long du territoire à manifester en mémoire du prof. Munis de leur slogans “Je suis Samuel”, “Je suis prof”, les français, ont pu réaffirmer les valeurs constituantes de l’identité de la France ; valeurs reprises par Emmanuel Macron dans son discours d’hommage à Samuel Patty, le 21 octobre 2020 “Apprendre les devoirs pour les remplir. Apprendre les libertés pour les exercer.’’ La lutte contre le fanatisme djihadiste auquel s’oppose l’Etat de droit et la démocratie, se fait aussi par la défense de principes importants comme celui de l’éducation. En ce sens, Emmanuel Macron cite les mots de Ferdinand Buisson : « Pour faire un républicain, écrivait-il, il faut prendre l’être humain si petit et si humble qu’il soit (…) et lui donner l’idée qu’il faut penser par lui-même, qu’il ne doit ni foi ni obéissance à personne, que c’est à lui de chercher la vérité et non pas à la recevoir toute faite d’un maître, d’un directeur, d’un chef, quel qu’il soit. » « Faire des républicains ».

2020 reste une année de combats pluridisciplinaires. Ces mobilisations ont diverses sources mais ont un point commun : la jeunesse. En effet, que ce soit les Syndicats étudiants Libanais ou encore la mobilisation sur Instagram, il s’agit d’une jeunesse engagée. Cette jeunesse qui n’attendra ni l’État ni les autres pour se former, s’épanouir et réussir, mais qui voudrait quand même bénéficier du minimum de la part de “Monsieur l’État”. Elle symbolise cette fulgurante envie des jeunes d’aujourd’hui de se démarquer et d’être désormais au centre des décisions les concernant et concernant l’avenir de la nation commune ; en espérant que 2021 cristallise ces changements et permette une meilleure année.  

Un programme de partenariat exclusif pour la coédition articles et analyses de droit de ELSA, Lyon et The Phoenix Daily

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